Étienne Edmond Oehmichen. Ce nom ne vous dira probablement rien, pourtant cet ingénieur français né à Châlons-sur-Marne en 1884 et mort à Paris le 10 juillet 1955 est considéré par certains comme
le père de l’hélicoptère.
Sans la découverte fortuite d’une bobine de film datant du début du XXe siècle et montrant les images des premiers essais d’une étrange machine volante dotée
d’hélices horizontales, cette contribution d’Oehmichen aux progrès de l’aéronautique aurait sans doute été totalement oubliée par l’Histoire, toujours prompte à ne retenir que la partie émergée
des événements. Mais les faits sont là : sur ces images d’un autre âge, on voit l’appareil d’Oehmichen, croisement de l’hélicoptère que nous connaissons et d’une silhouette de libellule, réussir
un vol d’un kilomètre en circuit fermé. Un exploit pour l’époque, et un bond en avant considérable pour l’industrie aéronautique, qui voyait se concrétiser là le vieux rêve de Léonard de Vinci
d’une machine volante à décollage et atterrissage vertical.
Mais le génie d’Oehmichen dépassa largement ce cadre. Bricoleur fou, pilote d’essai intrépide, militaire au courage sans faille, naturaliste émérite, on lui doit de
nombreuses autres inventions dans une foule domaines : premier modèle de char de combat, feux de croisement pour automobile, premier stroboscope électrique, caméra haute vitesse capable de saisir
1 000 images/seconde, et même un étonnant modèle de canon à air comprimé ! Curieusement, le génie multifacette d’Oehmichen fut entièrement éclipsé après sa mort. Ce documentaire tente de
comprendre pourquoi, revenant sur la trajectoire de cet homme peu ordinaire et sur l’histoire tumultueuse de ses inventions.
. Rêve d’enfant
Beaucoup de grandes inventions commencent dans des rêves d’enfants. Ceux du jeune Étienne Oehmichen s’enracinent dans sa huitième année. Nous sommes en 1892, et le
garçonnet vient de perdre son père. Sa mère l’emmène alors à Lyon pour demander asile à des oncles fortunés. L’un d’eux, touché par le chagrin d’Étienne, l’emmène à la foire commerciale de la
ville et lui paie un vol en ballon captif, à plus de 500 mètres au-dessus de la ville. A cette hauteur, le spectacle est d’une beauté à couper le souffle. En l’air, le jeune Étienne oublie son
chagrin en même temps qu’il se forge un rêve : plus tard il construira une machine volante pour voir le monde d’en haut.
Ce rêve deviendra le gouvernail de sa vie. Voler comme l’oiseau : c’est le rêve insensé d’Icare que les hommes n’ont jamais cessé de poursuivre envers et contre
tout, animés par la certitude inébranlable que cela était possible. En ce turbulent début de XXe siècle, ce qui paraissait jusqu’ici vaine folie est en train de se muer en réalité sous
l’impulsion des pionniers de l’aéronautique. Les premiers avions voient le jour, et grâce à la combinaison des progrès de la mécanique et de l’audace des pilotes, se révèlent capables de réaliser
des performances remarquables : voler sur de longues distances, et même traverser les mers. Pendant que ces premiers aventuriers du ciel réalisent leurs exploits, chez lui le jeune Étienne se
passionne pour la fabrication de modèles réduits de ballons ascensionnels, qu’il parvient à faire décoller en les gonflant avec l’air chaud d’une cuisinière. Ces rêves miniatures s’envolent
depuis les fenêtres de l’appartement familial et l’enfant lance son imagination à leur poursuite. Un jour il volera lui aussi, il en est convaincu.
. Difficiles tâtonnements
Tandis qu’Étienne s’adonne à ces expériences farfelues, d’autres inventeurs se lancent dans la grande aventure de l’hélicoptère. Le but est de faire mieux que
l’avion en créant une machine capable de décoller et d’atterrir verticalement et pouvant pratiquer le vol stationnaire. En quelques années, les prototypes se multiplient, tous plus surprenants
les uns que les autres, mais les résultats de ces engins ne sont pas à la hauteur des espérances placées en eux par leurs inventeurs. Sur le plan technique, l’entreprise s’avère en effet être un
casse-tête des plus ardus tant les paramètres physiques et technologiques à prendre en compte sont nombreux.
Difficultés dans la conception des moteurs, matériaux inadaptés à la structure des engins, manque de connaissances en aérodynamique : les écueils se multiplient pour
les concepteurs des premiers prototypes d’hélicoptères. Du coup ceux-ci procèdent par tâtonnements, s’efforçant de tirer des leçons de leurs échecs pour améliorer sans cesse les nouveaux
prototypes. Parmi ces pionniers de l’hélicoptère, deux hommes vont particulièrement compter : Louis Bréguet (1880-1955) et Paul Cornu (1881-1944). Ce dernier est le fils d’un réparateur de
bicyclettes de Lisieux qui s’est passionné pour la mécanique dès son plus jeune âge. En 1905, Paul Cornu commence à s’intéresser à l’aviation et au décollage vertical. Il se lance alors dans la
construction d’un engin volant.
Cette machine, qui ressemble à un gros insecte équipé de deux hélices montées sur d’immenses roues, est en grande partie constituée d’éléments mécaniques de
bicyclette – pignons, engrenages, chaînes, roues à rayons, etc. – actionnés par un moteur à courroie. Elle est surtout très difficile à mettre au point, et les premiers essais s’avèrent
décevants. Le 13 novembre 1907, Paul Cornu se lance dans un vol d’essai qui verra sa machine décoller d’environ un mètre durant une poignée de secondes. Malgré l’envergure on ne peut plus modeste
de cet « exploit », celui-ci restera enregistré comme le premier vol d’un hélicoptère libre monté par un pilote. Cornu tentera d’autres vols, mais son « gyroplane » ne s’arrachera plus jamais du
sol. Peu importe, car avec ce saut de puce il a réalisé un bond de géant dans l’aventure de l’hélicoptère, ouvrant la voie à d’autres pionniers.
Louis Bréguet est l’un de ceux-là. En 1907, ce fils d’une célèbre famille d’industriels originaires de Douai (Nord, France) s’est lancé dans la construction d’un «
gyroplane » à ailes flexibles avec son frère Jacques, polytechnicien d’un an son cadet. Même si sa famille ne voit pas d’un très bon œil ce qu’elle considère comme un gaspillage de temps et
d’argent, Bréguet est convaincu que son invention peut voler. Le 20 septembre 1907 il lance donc le moteur de son gyroplane, qui s’élève d’environ 1,50m avant de se crasher violemment suite à la
rupture d’un câble de la structure. Malgré cette semi réussite – ou ce semi échec – Bréguet renouvelle son essai, et cette fois le gyroplane s’élève jusqu’à l’altitude record de… 3 mètres. En
juillet 1908, au cours d’une troisième tentative, Bréguet est victime d’un crash assez sérieux ; il comprend alors que les matériaux et les moteurs dont il dispose ne lui permettront pas de
concrétiser son rêve d’hélicoptère et abandonne son projet pour se réorienter vers l’aviation classique.
. Cap sur le rêve
Malgré leurs échecs respectifs, Bréguet et Cornu ont cependant laissé entrouvertes les portes du vieux rêve d’hélicoptère. Cette quête du vol vertical va être
brutalement interrompue par la Première Guerre Mondiale, qui envoie des milliers d’hommes se battre dans les tranchées, y compris les inventeurs de ces engins. Étienne Oehmichen est mobilisé.
Depuis l’époque de ses premiers rêves d’enfants il est devenu un brillant ingénieur, déjà reconnu pour quelques inventions. Il va alors mettre ses compétences au service de l’armée, concevant un
modèle de char de combat entièrement nouveau qui fera ses preuves sur le champ de bataille.
En 1918, Oehmichen retourne à la vie civile dans un monde sur le point d’être chamboulé par le progrès technologique. L’une de ses avancées les plus visibles se
situe dans le domaine de la motorisation, qui a révolutionné l’aéronautique. Plus puissants, plus rapides, plus maniables, les avions se sont imposés comme les maîtres des airs, contrairement aux
hélicoptères, qui n’ont jamais dépassé le stade de prototypes. Mais la volonté de faire voler ces engins est toujours présente. Début 1919, l’aéroclub de France lance ainsi un concours destiné à
encourager les inventeurs : celui qui parviendra à faire voler un hélicoptère sur une distance d’un kilomètre en revenant à son point de départ recevra une prime de 10 000 francs.
C’est le déclic pour Oehmichen. Pour se lancer dans cette entreprise, il peut compter sur le soutien de l’entreprise Peugeot Frères, qui lui a alloué un crédit de
180 000 francs. Avec cette somme, Oehmichen fait construire un atelier et un hangar, rachète à Peugeot deux moteurs prévus pour équiper les avions et embauche une petite équipe constituée
d’ingénieurs et de mécaniciens : l’aventure peut commencer. Dans l’esprit d’Oehmichen, si les premiers concepteurs d’hélicoptères ont échoué, c’est parce qu’ils n’avaient aucune connaissance en
aéronautique. Convaincu que l’observation de la nature a tout à lui apprendre dans ce domaine, il va alors s’attacher à étudier le vol des insectes et des oiseaux pour tenter d’en percer le
mystère.
Pour étudier le phénomène complexe du vol, Oehmichen va mettre au point une caméra haute vitesse qui va lui permettre de comprendre la cinétique des mouvements
d’ailes. Il réalise rapidement que ces ailes battantes, chez les insectes, ont une fonction bien plus évoluée que l’aile fixe des avions, permettant la réalisation simultanée de deux fonctions :
la sustentation, qui permet le vol, et la propulsion, qui provoque le mouvement. Il décrypte aussi une troisième fonction qui est celle de la stabilisation. La suite consiste à transposer ces
solutions biomécaniques à une machine conçue par ses soins. Il va ainsi mettre au point un premier prototype d’hélicoptère dont le principe de vol repose sur l’action simultanée d’une série de
rotors propulsant le flux d’air vers le bas.
. Premiers essais
Oehmichen cherche en priorité à s’attaquer au problème de la sustentation, c’est-à-dire la capacité de sa machine à se maintenir seule en l’air à l’aide de ses
rotors. La principale difficulté à laquelle il se heurte consiste à trouver un moteur suffisamment puissant pour soulever son prototype, qui pèse près de 280 kg. Dans un premier temps, il va donc
équiper celui-ci d’un ballon d’hydrogène destiné à l’alléger tout en jouant le rôle de parachute en cas de panne du moteur. Les premiers essais sont concluants, comme le montrent d’étonnantes
images d’archives des premiers vols de cet engin volant. Le 15 janvier 1921, un prototype construit par Oehmichen parvient à décoller et à se stabiliser à plusieurs mètres de hauteur. Au cours
des mois qui suivent, l’inventeur va multiplier les essais, réalisant plus de 18 ascensions avec son appareil.
Mais Oehmichen a un concurrent sérieux en la personne de Raoul Pateras Pescara. Né en 1880 à Buenos Aires (Argentine) et établi en Espagne depuis la fin de la Grande
Guerre, cet ingénieur de formation qui s’est illustré pendant le conflit en inventant des minis dirigeables capables de survoler les lignes ennemies en lançant des bombes par intervalles, s’est
lui aussi lancé dans un projet de construction d’un hélicoptère. Son approche mécaniste est radicalement différente de celle d’Oehmichen et repose sur un concept très simple : transposer la
technologie d’une automobile à un engin volant. L’hélicoptère de Pescara ressemble donc à un châssis d’auto doté d’un moteur surpuissant relié à mât vertical contenant un système d’embrayage
chargé de faire tourner d’immenses pales rotatives.
Avec la même fougue et la même conviction inébranlable dans la réussite de leur projet, Oehmichen et Pescara poursuivent leurs essais, essayant de dompter ces
machines qui défient l’entendement de leurs contemporains. La presse et les actualités filmées ne manquent pas une seule occasion de se moquer de ces inventeurs fous et des piètres performances
de leurs engins volants, dont les performances prêtent il est vrai à sourire, mais cela n’affecte en rien la détermination d’Oehmichen et de son rival d’être le premier à relever le défi de
l’aéroclub de France.
. Comme l’oiseau
Malgré la réussite incontestable de son premier vol, Oehmichen sait qu’il lui reste encore beaucoup de chemin à faire. Après la sustentation, il doit maintenant
s’attaquer au défi de la stabilité de son engin volant. Pour concevoir son nouveau prototype, il doit en outre s’affranchir du ballon d’hélium dont il avait équipé son premier engin, car certains
lui ont reproché de tricher avec la pesanteur à l’aide de ce dispositif. Oehmichen avance donc dans l’inconnu le plus complet, mais comme il l’a fait depuis le début, il va aller chercher la base
de son nouveau concept d’engin volant en observant la nature. Avec une patience de moine copiste, il décrypte tous les mouvements du vol des oiseaux, décomposant celui-ci à l’aide d’images prises
pas sa caméra haute vitesse. Il constate alors que ce sont les torsions et les cambrures imprimées par l’oiseau sur ses ailes qui lui permettent de voler de façon stable et sure.
Il va alors concevoir un nouveau modèle d’hélice en s’inspirant directement du modèle de l’oiseau. Capables de s’incliner, celles-ci doivent permettre de changer
facilement de direction en toute sécurité. Son nouveau prototype est présenté à la presse en mars 1923. C’est un monstre mécanique de plus d’une tonne doté de onze hélices, dont cinq chargées
d’assurer la stabilité. Il est aussi d’un pilotage très complexe qui nécessite une attention de tous les instants. Mais il vole ! Devant les observateurs ébahis, Oehmichen parvient à le faire
décoller plusieurs fois et à le stabiliser à une hauteur de quelques mètres. Mis en confiance par ce premier essai concluant, Oehmichen réitère sa tentative un peu plus tard, poussant sa machine
jusqu’à une altitude de quinze mètres. Mais à cette hauteur les oscillations de la structure sont très puissantes, et l’engin échappe à son contrôle. Le crash est extrêmement brutal, détruisant
presque entièrement le prototype, tandis qu’Oehmichen échappe de peu à la mort.
. Course à l’exploit
Oehmichen comprend que le régime du moteur trop important a provoqué la déformation de la structure de son appareil, lui en faisant perdre le contrôle. Bien décidé à
remédier à ce défaut, il remet alors en état son hélicoptère. Mais il doit faire vite car ses commanditaires, refroidis par son accident, menacent de se désengager du projet. De son côté, Raoul
Pateras Pescara accumule les records aux commandes de son prototype. L’année 1923 est celle de toutes les performances pour l’Espagnol : 40 mètres en circuit fermé, puis 83 mètres à 2 mètres du
sol, puis 200 mètres à 6 mètres d’altitude. Il se hisse peu à peu vers l’objectif fixé par l’aéroclub de France, franchissant la barre des 750 mètres le 1er avril 1924.
Indifférent aux exploits de son rival, Oehmichen poursuit à son rythme les travaux de remise en état de son prototype. Le nouvel engin est bientôt prêt, et le 4 mai
1924 l’inventeur joue son va-tout en se disant prêt à relever le défi de l’aéroclub de France. La tentative aura lieu devant les autorités officielles chargées d’homologuer son record mais aussi
devant ses principaux soutiens financiers. La réussite de ce vol décidera de leur participation à son entreprise ; en cas d’échec, Oehmichen sait qu’il sera ruiné. C’est donc un homme aux abois,
mais plus déterminé que jamais, qui se met aux commandes du prototype en ce jour de mai. Lorsqu’il met les gaz, les 150 chevaux du moteur déclenchent un ouragan artificiel qui soulève l’appareil
du sol. Grâce à ses onze hélices, celui-ci reste remarquablement stable tandis qu’Oehmichen actionne le manche à balais pour lui imprimer le mouvement qui lui fera parcourir les trois côtés du
triangle d’un kilomètre délimité par des piquets plantés dans le sol. Une fois revenu à son point de départ, l’hélicoptère de pose avec élégance. L’exploit est d’autant plus grand qu’il était
inattendu.
Pour Oehmichen le triomphe est total. La presse, d’ordinaire si prompte à se moquer, célèbre avec grandiloquence ce héros qui vient d’offrir à la France un record
historique dans le domaine si concurrencé de l’aéronautique. L’ingénieur se voit verser la prime de 10 000 francs promise par l’aéroclub de France, somme à laquelle s’ajoutent 90 000 francs
versés par l’armée, qui veut s’assurer la primeur de son invention. De son côté, Raoul Pescara s’incline devant le record de son rival, saluant sa victoire avec une élégance toute
aristocratique.
. Hélicostat
Après une période de relâche et de repos familial, Oehmichen se remet au travail. Il veut concevoir un prototype plus puissant, plus moderne, plus léger, et surtout
plus simple à piloter, car il garde en mémoire les problèmes de déformation de la structure du modèle précédent. L’un de ses principaux soucis consiste à réduire le nombre d’hélices, qui se
chiffrent à onze dans la version initiale de son hélicoptère, mais comment faire sans nuire à sa stabilité ? De nouveau, Oehmichen va puiser son inspiration dans la nature, et plus précisément
dans l’observation du vol des libellules. C’est ainsi que nait l’idée de placer une hélice verticale – le rotor anticouple – à l’arrière de l’hélicoptère afin de stabiliser celui-ci durant le vol
en l’empêchant de tourner sur lui-même.
Toutefois, malgré l’ajout de ce dispositif à son nouveau prototype, Oehmichen ne réussira pas à voler avec. Son hélicoptère rencontre en effet trop de problèmes de
stabilité qui le rendent extrêmement dangereux à piloter. L’ingénieur décide alors de réintroduire le ballon stabilisateur et conçoit un nouveau prototype aux allures de mini dirigeable qu’il
baptise « hélicostat ». Les premiers essais ont lieu au début de l’hiver 1932 et se déroulent remarquablement bien malgré la neige. Avec son ballon de 400 mètres cube rempli d’hélium,
l’hélicostat bénéficie d’une stabilité remarquable et se révèle particulièrement facile à piloter. La presse s’enthousiasme devant les performances de l’engin, mais ces réactions positives ne
sont qu’un écran de fumée qui dissimule la vacuité du nouveau projet d’Oehmichen ; en effet, avec l’inertie et l’encombrement de son ballon, l’hélicostat représente un modèle obsolète. L’avenir
de l’hélicoptère s’invente ailleurs, et notamment du côté de Pescara, l’éternel rival d’Oehmichen, qui a modernisé son prototype pour le rendre plus stable et plus fiable.
Mais les deux hommes se heurtent toujours au problème de la propulsion, et notamment de la vitesse de pointe de leurs engins. L’écueil est d’autant plus redoutable
pour Oehmichen que l’armée, sa principale source de financement, lui a fixé un objectif en forme d’ultimatum : franchir rapidement le cap des 100 km/h de vitesse, faute de quoi les crédits dont
il dispose pour le développement de ses engins lui seront retirés. Malgré une modification de l’hélicostat, qu’il dote d’un ballon sphérique, l’inventeur ne réussit pas à relever le défi. Dans
une décision irrévocable, l’armée décrète alors que sa machine et sans avenir et suspend définitivement son financement. Il est bientôt suivi dans sa chute par Pescara, son rival de toujours.
Criblé de dettes et miné par le doute quant à la viabilité technologique de son invention, celui-ci finit en effet par jeter l’éponge pour retourner à ses premières amours,
l’automobile.
. Héritage
Avec la mise sur la touche de ses deux principaux contributeurs, on pourrait croire le projet d’hélicoptère définitivement enterré, mais c’est sans compter sur le
retour au premier plan de l’un des pionniers de la première heure : Louis Bréguet. S’appuyant sur tout ce qui a été tenté jusqu’ici et faisant la synthèse des différents procédés expérimentés par
ses prédécesseurs, Bréguet met au point un engin mixte entre l’hélicoptère et l’avion, le gyroplane. Stable, rapide, autonome, cet engin préfigure les hélicoptères modernes qui seront développés
au cours des décennies suivantes. Une page de l’histoire de l’aéronautique est en train de se tourner.
Oehmichen, qui a renoncé à carrière d’inventeur et enterré, la mort dans l’âme, ses projets d’hélicoptère, s’est quant à lui reconverti au Collège de France, où ses
travaux de pointe sur le vol des oiseaux et des insectes lui ont valu l’obtention d’une chaire. A ce poste prestigieux, il deviendra l’un des précurseurs de la biomécanique. Mais si le professeur
a gagné une certaine forme de reconnaissance, l’inventeur a en revanche été totalement éclipsé. Ainsi, lorsqu’il disparaît en 1955 plus personne ne se souvient de ses formidables machines
volantes et de la renommée qu’elles lui ont valu.
L’héritage d’Oehmichen reste cependant très présent dans la recherche actuelle, notamment dans le domaine de la biomécanique. Les intuitions d’Étienne Oehmichen
étaient bonnes ; non seulement les ailes d’oiseaux inspirent aujourd’hui les ingénieurs en aéronautique, mais les libellules sont devenues un modèle en matière de vol que les scientifiques
cherchent à imiter. Aujourd’hui, des dispositifs tentent de reproduire le dispositif du thorax de ces insectes, qui actionne leurs ailes, afin de créer de petits engins volants entièrement
autonomes. Le rêve d’Étienne Oehmichen consistant à copier le vivant pour concevoir des dispositifs mécaniques était donc tout sauf une chimère.