Les Ismaélites, tout en se rattachant au souvenir de Mahomet, interprétaient l’islamisme à leur gré, et le dénaturaient entièrement. Ils défendaient de prendre au sérieux les pratiques du Coran, telles que la prière, le jeûne et l’aumône, et le khalife fatimite Hakem fonda au Caire une société dite de sagesse, qui condamnait tout ensemble le khalife de Bagdad, comme usurpateur, la foi et la morale comme des préjugés et des folies. La secte des Assassins est sortie de cette école.
Hassan, fils de Sabbah, était né dans le Khorazan ; son père, partisan d’Ali, l’avait confié, pour éviter les soupçons, à un Sunnite renommé par sa vertu entre les partisans du khalife de Bagdad ; mais de fréquentes conversations avec les Ismaélites l’entraînèrent dans leur doctrine, et il passa en Égypte pour recevoir de la bouche du khalife fatimite lui-même l’enseignement de la vérité. Accueilli avec empressement, admis à la plus intime faveur, et bientôt disgracié par l’habileté des courtisans, il revint en Asie à travers mille dangers, rapportant un grand désir de puissance, et tous les moyens nécessaires pour y parvenir (vers l’an 1073).
Hassan fit rapidement des disciples nombreux, et avec leur dévouement il s’empara de la forteresse d’Alamout dans le voisinage du sultan Malek-Schah. D’autres châteaux s’élevèrent dans les environs ; en vain Malek-Schah voulut les détruire ; son grand vizir fut mis à mort par un des disciples d’Hassan, et lui-même mourut sans avoir le temps d’assurer sa vengeance. D’autres meurtres, d’autres menaces, agrandirent cette puissance naissante. Le sultan Sindjar, qui régnait dans le nord-ouest de la Perse, s’était déclaré l’ennemi des nouveaux sectaires : un matin à son réveil, il trouve un stylet près de sa tête, et au bout de quelques jours il reçoit une lettre ainsi conçue : « Si nous n’avions pas de bonnes intentions pour le sultan, nous aurions enfoncé dans son cœur le poignard qui a été placé près de sa tête. ». Sindjar fit la paix, par crainte, et accorda à Hassan, à titre de pension, une partie de ses revenus.
On dit que Hassan habita Alamout pendant 35 années, et que, dans cet intervalle, il ne se montra que deux fois sur la terrasse de son palais.
C’est alors qu’il organisa la société créée par lui, et qu’il la divisa en trois classes, les daïs, les reficks, et les fédaviés. Les daïs étaient les docteurs, les prédicants, chargés de convertir les infidèles. Les reficks étaient les compagnons, les initiés de la doctrine ; le peuple soumis à l’autorité tout à la fois religieuse et temporelle du chef suprême. Les fédaviés ou dévoués, étaient les instruments des volontés et des vengeances de leur maître.
Enfermés dès leur enfance dans les palais, sans autre société que leurs daïs, les fédaviés apprenaient que leur salut éternel dépendait de leur dévouement et qu’une seule désobéissance les damnait pour toujours. A cette crainte du châtiment se joignait avec la même efficacité l’espoir des récompenses; on leur promettait le paradis, on leur en donnait quelquefois une jouissance anticipée. Pendant leur sommeil, provoqué par une boisson enivrante, ils étaient transportés dans de magnifiques jardins où ils trouvaient à leur réveil tous les enchantements de la volupté ; après quelques jours de félicité extrême, le même breuvage les endormait de nouveau, et ils retournaient sans le savoir au lieu d’où on les avait emportés. A leur réveil ils racontaient, comme un songe ou comme une réalité, cette sorte de ravissement dont ils avaient joui, et ils s’animaient encore, par ce souvenir d’un bonheur passager, à mériter celui qui n’aura pas de fin. Introduits quelquefois devant leur seigneur, celui-ci leur demandait s’ils voulaient qu’il leur donnât le paradis, et sur leur réponse qu’ils étaient prêts à exécuter ses ordres, il leur remettait un poignard et leur désignait une victime.
Cette, société porta différents noms; on les appela Ismaélites orientaux, pour les distinguer de ceux d’Égypte ; Bathéniens ou partisans du culte intérieur ; Molahed ou impies ; et enfin Assassins. Ce nom n’est qu’une corruption de hachichin, qui lui-même vient de hachich ; le hachich était un breuvage enivrant qui servait à endormir les fédaviés. Le chef suprême s’appelait le Seigneur des couteaux, et plus souvent le seigneur de la Montagne, Scheick al Djébal. Le sens primitif de seigneur, dérivé de senior, a fait traduire ce mot par Vieux de la montagne.
La puissance des Assassins s’étendit successivement depuis la Méditerranée jusqu’au fond du Turkestan. Leurs châteaux étaient divisés en trois provinces : celles de Djébal, de Kuhistan et de Syrie ; chaque province avait à sa tête un dailbekir, immédiatement soumis au Vieux de la montagne. Pendant les 150 années que remplissent les règnes d’Hassan et de ses successeurs, ils entretinrent une continuelle terreur dans l’âme de tous les souverains de l’Asie. Le seul prince qui ne fléchit pas devant eux, et dont ils révérèrent la fermeté, ce fut Saint-Louis : il leur signifia qu’il était mécontent de leurs menaces, il demanda et il obtint réparation.
Les Assassins ne succombèrent que sous les coups des Mongols en 1258 ; le septième successeur d’Hassan, Rokneddin Kharchah, régnait alors. Les Mongols, sous la conduite d’Houlagou, le vainquirent et le mirent à mort. Les Assassin, recherchés dans toute l’Asie, furent impitoyablement massacrés, partout où il fut possible d’en trouver. Cependant ils ne purent tous être atteints, et il en existe encore aujourd’hui dans la Perse, sur les bords de l’Indus et du Gange, et dans les montagnes du Liban ; ils ont perdu leur puissance et leur fureur de meurtre; mais ils conservent. en partie la doctrine ismaélite.
MAJ le 22/03/2015
La secte des Assassins et le Vieux de la Montagne
Un peu d’histoire, dans notre grande série “Intégrisme et manipulation mentale”, mention Généalogie de Ben Laden…
Le Vieux de la Montagne (Chayr al-Jabal [peut se traduire « Vieux de la montagne » mais aussi le « Sage de la Montagne » ou encore le « Chef de la Montagne » selon le sens qu’on donne au mot « chayr »]) est l’appellation commune que les Templiers donnaient à leur ennemi juré, le grand-maître de la secte des Assassins, Hassan Sabbah (Sayyidna Hasan Bin Sabbah) (1034-1124).
C’était un homme de grand savoir, grand savant, qui connaissait parfaitement les plantes et leurs vertus curatives, sédatives ou stimulantes. Il cultivait toutes sortes d’herbes et soignait ses fidèles quand ils étaient malades, sachant leur prescrire des potions pour leur rafraîchir le tempérament. Être sensé de raison et de savoir ou fou, aimable ou exécrable, préférant les mots vrais aux mots plaisants, aimant et méprisant les honneurs, ” le paradis et l’enfer sont en toi” ainsi dit le grand savant Omar Khayyam (1047-1122) à son propos.
Ses hommes étaient connus sous l’appellation péjorative de Haschischins ou Haschischioun, parce qu’ils auraient consommé beaucoup de haschisch avant de se lancer dans des commandos-suicide. Leur célébrité est telle qu’ils sont à l’origine du mot “assassins”. en réalité, aucune recherche sérieuse n’a permis d’attester le recours à des drogues afin de fanatiser les hommes. Selon les textes provenant d’Alamout, Hassan lui-même aimait appeler ses adeptes “Assassiyoun”, ceux qui sont fidèles au Assas, au ” fondement” de la foi. Le terme pourrait aussi simplement provenir du nom d’Hassan, (Hassanjins, les djins de Hassan)
La secte est issue d’une branche de l’Islam chiite. Ses membres se déclarèrent partisans du neveu de Mahomet, lequel, étant descendant du Prophète par les femmes n’était pas reconnu par l’ensemble des musulmans. Selon les témoignages du voyageur vénitien Marco Polo (1323) et de nombreux historiens persans, les Haschischins vivaient dans la forteresse d’Alamut, à 1800 mètres d’altitude, dans le Mazenderan, au sud de la mer Caspienne, dans l’Iran actuel. Confinés dans leurs montagnes et ne disposant pas des moyens d’entreprendre des guerres conventionnelles, ils imaginèrent d’envoyer des commandos de six hommes (les fidawis) chargés de poignarder des chefs ennemis, le plus souvent tandis qu’ils se livraient à leurs dévotions dans des mosquées.
Ceux désignés pour commettre les meurtres étaient anesthésiés avec du haschisch, introduit dans leur nourriture sous forme de pâte mélée à de la confiture de rose. Le Vieux de la Montagne leur parlait longuement et les hommes s’endormaient car le haschisch est une drogue soporifique et non pas excitante. Assoupis, ils étaient transportés dans un jardin secret, au fond de la forteresse d’Alamut. A leur réveil, ils s’y retrouvaient environnés de jeunes esclaves, filles et garçons, empressés à réaliser tous leurs désirs sexuels. Ils étaient arrivés en guenilles. Ils se découvraient en robe de soie verte rehaussée de fils d’or et, tout autour, c’était le Paradis: vaisselle de vermeil, vins suaves à profusion, roses aux délicats parfums, haschisch à volonté. Drogue, sexe, alcool, luxe et volupté. Ils étaient convaincus d’être dans les jardins d’Allah, d’autant plus que ce lieu était une oasis particulièrement rare en une région aride et montagneuse.
Ils étaient ensuite de nouveau anesthésiés à la pâte de haschisch, puis ramenés au point de départ dans leurs anciennes défroques. Le Vieux de la Montagne leur déclarait alors que, grâce à ses pouvoirs, ils avaient eu la chance de goûter furtivement au Paradis d’Allah. A eux d’y retourner définitivement en mourant en guerriers ! Le sourire aux lèvres, les fidawis partaient alors docilement assassiner vizirs et sultans. Arrêtés, ils marchaient au supplice, le visage extasié. II n’y avait que les prêtres haschischins de haut échelon (sixième degré) à connaître le secret des faux jardins d’Allah.
Aucune ville, aucune province, aucune route, ne sont épargnées. Devenu maître de la rue, Hassan impose sa loi, mais ayant une grande connaissance des inimitiés règnant dans les palais, les diwans et les cours, il devient aussi maître dans l’art d’amplifier les haines entre puissants, entre héritiers… Jouant leurs jeux pervers, il leur offre alors ses services selon ses propres desseins, pour faire exécuter, poignarder, assassiner dans l’ombre. Qu’il soit un brave homme croisé au coin d’une rue, un pauvre individu vêtu de guenilles, l’exécuteur va très vite, l’éclair d’une lame, en un seul mouvement, un poignard perce le corps. Puis il se laisse prendre, torturer, égorger ou jeter dans un feu… là est la grande puissance de l’Ordre. D’innombrables messagers de la mort, Assassins d’Alamout connaîtront un tel sort, ne cherchant jamais à fuir. Assassinats politiques de dirigeants chrétiens ou perses, musulmans shiites ou sunnites…
Prêt et formé à répondre à la torture, l’Assassin récitait alors une suite de noms appris par coeur, dénoncés comme faisant partie de la confrérie, mais ciblés en fait par Hassan parmi des ennemis de la Secte. Aussitôt on recherchait les soi-disant complices. De cette façon, les juges du pouvoir local exécutaient les volontés de Hassan sans même le savoir.
La secte s’occupa d’abord de ses propres intérêts en promouvant le message d’Hasan i-Sabbah. Puis les Vieux de la Montagne constatèrent que leurs sbires fanatisés pouvaient rapporter gros. Ils louèrent leurs services au plus offrant. Les assassins se précipitaient pour se porter volontaires quand leur chef demandait: “Lequel d’entre vous me débarrassera de tel ou tel ?” Ainsi périt, entre autres, la poêtesse Açma, fille de Marwan. qui avait osé médire de ses alliés médinois, lesquels firent aussitôt appel aux bras mercenaires des haschischins.
La forteresse d’Alamut fut conquise en 1253 par le grand khan mongol Hulagu, général du grand khan chinois Mongkha. Les assassins eurent beau réclamer l’appui des sultans qu’ils avaient aidés. ceux-ci se gardèrent bien d’intervenir, trop contents de se débarrasser de ces dangereux trublions. Les haschischins massacrés purent vérifier qu’ils n’avaient connu qu’un ersatz de Paradis. Un monde sacré artificiel, fabriqué par les hommes pour les illusionner.
Un témoignage… impressionné :
Quand Djélaleddin envoya un ambassadeur à Hassan pour qu’il eût à lui rendre hommage, celui-ci dit à un de ses fidèles : “Tue-toi” ; à un autre “Jette-toi par la fenêtre”, et ils obéirent sans réplique. Ils sont soixante-dix mille, ajouta-t-il, également prêts à obéir à mon premier signe.
Henri de Champagne, passant sur le territoire des Ismaélites alla visiter leur souverain, qui l’accueillit avec honneur. Sur chacune des tours dont le château était couronné se tenaient deux blancs en sentinelle ; le Sire fit signe à deux d’entre eux, et ils tombèrent brisés au pied du comte épouvanté, à qui le Vieux de la Montagne disait froidement : “Pour peu que vous le désiriez, à un autre signe de moi vous allez les voir tous à terre”. Lorsque son hôte prit congé de lui, il lui entendit prononcer ces mots : “Si vous avez quelque ennemi, faites le moi savoir, et il ne vous tourmentera plus”.
Histoire universelle de Cesare Cantù
Finissons par les mots d’Hassan :
Il ne suffit pas de tuer nos ennemis, nous ne sommes pas des meurtriers mais des exécuteurs, nous devons agir en public, pour l’exemple. Nous tuons un homme, nous en terrorisons cent mille. Cependant, il ne suffit pas d’exécuter et de terroriser, il faut aussi savoir mourir, car si en tuant nous décourageons nos ennemis d’entreprendre quoi que ce soit contre nous, en mourant de la façon la plus courageuse, nous forçons l’admiration de la foule. Et de cette foule, des hommes sortiront pour se joindre à nous. Mourir, est plus important que tuer. Nous tuons pour nous défendre, nous mourrons pour convertir ; pour conquérir. Conquérir est un but, se défendre n’est qu’un moyen. Vous n’êtes pas faits pour ce monde, mais pour l’autre.
Hassan Sabbah